L'année 2020 s'impose comme un moment de rupture important pour l'immobilier de bureau, la période post-Covid ayant amené beaucoup d’entreprises franciliennes à revoir leurs stratégies immobilières… et à réduire leurs surfaces. Dans une étude intitulée « Paris Moves : quels mouvements pour quels secteurs d’activité en Île-de-France », Cushman & Wakefield détaille les tenants et aboutissants d’une transformation immobilière en cours. Décryptage.
« Quand il y a mouvement, c'est plutôt à la baisse », observe d'emblée Olivier Taupin, Head of Agency Office & Industrial France chez Cushman & Wakefield, notant même une accélération du phénomène depuis la crise sanitaire. Dans sa plus récente étude, le broker rapporte en effet un ralentissement généralisé de l'activité immobilière des entreprises franciliennes sur la période 2021-2023 par rapport à celle pré-Covid de 2017-2019, tant en volume placé ou en nombre de transactions. La chute de la demande est la plus vertigineuse chez les entreprises du secteur Banque, Finance & Assurance (-42 %), de la Communication & Création (-38 %) et de l’Industrie (-24 %), alors que celles de la Tech affichent le plus fort recul en nombre de transactions (-38 %). Des baisses qui s’expliquent selon l’étude par « un ralentissement du nombre de transactions, doublé d’une forte réduction de la taille unitaire des surfaces prises à bail, en raison de la volonté des entreprises d’optimiser leurs surfaces de bureaux dans le cadre de l’adoption régulière du travail hybride pour leurs salariés ».
Réduction des surfaces
La baisse de la demande est d’autant plus préoccupante pour les propriétaires d’immobilier tertiaire que l’empreinte immobilière des entreprises s’inscrit à la baisse au sein de plusieurs secteurs. « Face à la popularité croissante des modes de travail hybrides, la tendance est plutôt à maximiser les économies et à minimiser les mètres carrés », observe Olivier Taupin, ajoutant qu’il « aura fallu un moment pour que les entreprises s'organisent et prennent la mesure de ce qui les attendait, et il est fort possible que 2024 marque le point haut de la réduction des prises de surface ». Dans son étude, Cushman & Wakefield souligne ainsi qu’entre 55 et 70 % des déménagements et regroupements réalisés depuis 2021 ont engendré une réduction de surface, d’une ampleur entre -15 et -30 % en médiane, tous secteurs confondus. Dans la même veine, 56 % des mouvements supérieurs à 5 000 m2 ont entraîné une réduction de surface, contre 37 % avant la crise sanitaire. « « Sur la période 2021-2023 par rapport à la période 2017-2019, non seulement il y a moins de mouvement chez les entreprises (-9% en nombre), mais quand il y en a un il est plus petit (-18% en m²) », explique Olivier Taupin. À titre d’exemple, les entreprises publiques ont réduit leurs empreintes immobilières de -30 % en médiane sur la période, contre -28 % pour les banques, les établissements financiers ainsi que les assureurs.
À contre-courant, certains secteurs en forte croissance ont au contraire affiché une activité immobilière en forte hausse depuis la crise sanitaire. C’est le cas du Luxe, dont le volume placé (+59 %) et le nombre de transactions (+44 %) ont explosés, et des Sciences de la vie, avec une demande placée (+48 %) et un nombre de transactions (+8 %) également en hausse. En plein essor – Deloitte évaluait la croissance des ventes de bien de luxe en France autour de 21 % en 2022, avec une marge bénéficiaire de 19,3 % –, les maisons de luxe ont d’ailleurs augmenté leurs surfaces dans 63 % de leurs mouvements immobiliers depuis 2021.
Une transformation des usages
Selon Cushman & Wakefield, la réduction de l’empreinte immobilière des entreprises trouve en grande partie son origine dans une adoption massive du flex office, les nouveaux modes de travail constituant un moteur de déménagement indéniable. « Beaucoup d’entreprises profitent de la période pour revoir la façon dont elles s’organisent et profitent d’un éventuel déménagement pour ajouter au télétravail du flex-office, en contrepartie desquels elles offrent à leurs collaborateurs une expérience nettement supérieure pour leur donner envie de revenir au bureau », avance Olivier Taupin. L’étude révèle ainsi que les trois quarts des mouvements observés en Île-de-France chez les grandes entreprises ont concerné un passage au flex office, qui permet une réduction des mètres carrés/postes de travail et une réallocation au profit des espaces partagés. « Chaque déménagement s'accompagne d'une adaptation aux nouveaux modes de travail, avec beaucoup plus d'espaces communs et un rapprochement croissant vers les codes hôteliers en matière de services proposés », abonde Olivier Taupin.
Presque tous les secteurs d’activités ont adopté le flex office en 2023 lors de leurs mouvements immobiliers supérieurs à 5 000 m2, les entreprises des secteurs Industrie de pointe (100 %), Banque, Finance & Assurance (94 %) et Communication & Création (90 %) affichant les niveaux d’adoption les plus élevés. Les seuls moutons noirs sont les établissements publics, à seulement 17 %, et les entreprises du luxe, chez qui Cushman & Wakefield n’a répertorié aucun aménagement en flex office au cours des trois dernières années.
Paris conserve son pouvoir d’attraction
La recherche de centralité est au cœur des stratégies immobilières des entreprises et peut aussi expliquer en partie la tendance baissière de la demande placée, note Olivier Taupin : « Au 1er trimestre 2024, Paris caracole en tête avec 54 % des transactions. Or, si les entreprises rentrent dans Paris, il n’est pas étonnant qu’elles recherchent moins de surface pour compenser l’augmentation des loyers. » En revanche, si 58 % des mouvements de grandes entreprises depuis trois ans « se sont traduits par une localisation plus centrale qu’au départ, avec un point haut (73%) en 2022 », l'écart de loyer entre la 1ere couronne et la capitale est tel qu'il « peut freiner certains mouvements », continue-t-il, en notant que « l'écart de loyer entre Paris et La Défense n'a jamais été aussi important dans l'histoire de l'immobilier d'entreprise, que l'on parle du loyer facial ou économique ».
Pour autant, l’étude de Cushman & Wakefield ne révèle pas de bouleversements majeurs dans le profil des locataires de bureaux du cœur de la capitale depuis la pandémie. « Même si l'on a tendance à dire que le quartier central des affaires s'étend vers l'Est, ce qui n'est pas faux compte tenu des loyers pratiqués, les secteurs Banque, finance & Assurance, Luxe et Juridique & Conseil y demeurent les activités prépondérantes et privilégient les arrondissements traditionnels du QCA », observe Olivier Taupin. Évolution notable, les entreprises technologiques confirment leur appétence pour Paris intra-muros. « C’est un signe des temps, la Tech est maintenant parisienne, comme le montrent les prises à bail de Cisco, en provenance d’Issy-les-Moulineaux, ou d’Oracle, précédemment à Colombes, avance Olivier Taupin. Cette évolution s’explique possiblement par les difficultés de recrutement et de rétention des talents que les entreprises rencontrent. » Spécialistes internet et start-up en tête, le secteur se concentre ainsi de plus en plus sur le Centre-Est parisien, où il vient se mêler aux entreprises de Communication-Création.
Face à de telles tendances de réduction de surfaces en apparence alarmantes, il serait compréhensible de voir certains propriétaires d’actifs tertiaires s’inquiéter. En revanche, l’horizon n’est pas forcément tout gris, et Olivier Taupin estime même qu'un éventuel retour du balancier dans l'autre sens n'est pas à exclure. « Comme toujours, les entreprises ont tendance à surréagir et à sur-anticiper, suppose-t-il. Si l’économie retrouve une certaine stabilité, avec notamment une baisse des taux et de l’inflation, voire un certain dynamisme il y a fort à parier que les entreprises aient besoin rapidement de plus de surfaces. » D’autant plus que « les décisions radicales sur le télétravail et le flex office, qui fonctionnent sur le papier, pourraient se révéler difficiles à mettre en place dans la réalité et à vivre sur la durée d’un bail », ajoute-t-il. Faites vos jeux !